O. Cattan : "Ces enfants autistes cobayes de la médecine"

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Dans Le livre noir de l'autisme, Olivia Cattan dénonce les dérives thérapeutiques dans le champ de l'autisme. Ayant longtemps prêché seule dans le désert, à 7 jours de la publication, elle obtient le soutien de l'ANSM*. Pour enfin briser l'omerta ?

 

*Agence nationale de sécurité du médicament

Profitant de l'impasse thérapeutique dans laquelle se trouvent les familles d'enfants autistes et de l'attrait actuel pour les médecines douces, que certains qualifient de pseudo-thérapies, promettant parfois aux parents désespérés la guérison de leur enfant, un business parallèle s'est développé, représentant des millions d'euros. Hypnose, auriculothérapie, zoothérapie, neurofeedback, oxygénothérapie hyperbare et autres thérapies aux dérives parfois sectaires attirent toujours plus. Aux côtés de ces marchands d'espoir, des chercheurs et des médecins organisent des essais non-autorisés par les autorités de santé. Olivia Cattan, journaliste, présidente de SOS autisme France et maman d'un enfant autiste dénonce ces dérives dans Le livre noir de l'autisme (éditions Cherche midi), en librairie le 24 septembre 2020. Interview sans langue de bois…

Handicap.fr : L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) annonce le 15 septembre 2020 qu'elle saisit la justice pour dénoncer des essais thérapeutiques faits par des médecins sur des personnes autistes sans aucune autorisation (article en lien ci-dessous). Vous êtes à l'origine de cette alerte, que ressentez-vous ?
Olivia Cattan : Une immense satisfaction parce que cela prouve que cette agence est à l'écoute des citoyens et des lanceurs d'alerte. Il y a un espoir mais je m'étonne encore du silence assourdissant des ministres sur ce sujet...

H.fr : Pour comprendre, racontez-nous votre combat et ce qui vous a poussée à mener cette vaste enquête ?
OC : Je me suis tout d'abord appuyée sur ma propre expérience de maman car, moi aussi, je me suis fait arnaquer par certains thérapeutes qui voulaient prescrire toutes sortes de thérapies pour estomper les troubles de mon fils, Ruben. Ayant essuyé les plâtres de ces pratiques farfelues, j'avais une véritable expérience pour me saisir de ce dossier. J'ai vraiment découvert le pot aux roses en 2018, via le témoignage d'autres parents, et c'est là que j'ai décidé de mener mon enquête.

H.fr : Vous avez découvert une réalité bien pire que ce que vous aviez imaginé…
OC : On a tourné des caméras cachées et récupéré des ordonnances hallucinantes avec un protocole composé d'antibiotiques longue-durée, d'antifongiques, d'antiparasitaires, associés à une chélation (ndlr : thérapie pour éliminer la présence de métaux lourds dans le corps). Ces médecins prescripteurs étaient une dizaine en 2012, ils sont aujourd'hui près de 80. Cette organisation est devenue une nébuleuse qui a fait de nombreux disciples, notamment chez les naturopathes, les nutritionnistes, les toxicologues... D'abord en France, puis dans toute l'Europe et maintenant aux Etats-Unis, avec des réunions et des essais internationaux qui drainent énormément de professionnels et de familles. L'araignée a largement tissé sa toile...

H.fr : Persuadée que vous teniez un "dossier explosif", vous avez remué ciel et terre mais...
OC : En effet. Confiante, avec une maman, Estelle Ast-Verly, qui a testé de vaines thérapies sur son fils et a eu le courage de témoigner, je suis d'abord allée voir l'Ordre des médecins qui m'a assuré qu'il allait sanctionner certains praticiens. Puis j'ai saisi l'Ordre des pharmaciens qui a rédigé un communiqué. Mais pas grand-chose de plus.

H.fr : Et du côté des pouvoirs publics ?
OC : J'ai appelé Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap ; aucune réaction. Pas davantage de la ministre de la Santé. Puis j'ai rencontré Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme, qui m'a promis d'agir ; au final, un simple Tweet alors que j'attendais une prise de position "officielle". Même inertie du côté d'Adrien Taquet, secrétaire d'Etat à la Protection de l'enfance. D'autres vaines alertes, auprès de l'adjoint au Défenseur des droits, de la conseillère santé d'Emmanuel Macron... Dans l'impasse, je décide de tenter ma chance auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament. Elle, enfin, prend la mesure de la gravité de la situation...

H.fr : C'est donc la première fois, en France, qu'une agence officielle se saisit de ce dossier...
OC : Oui. SOS autisme France avait déposé une alerte en ligne sur le site de l'ANSM. En 2019, avec Estelle, nous sommes enfin auditionnées par toute l'équipe. Une enquête est alors diligentée en interne. On ne les a pas lâchés... Et puis, le soulagement, un appel : "Vous avez raison, les faits sont avérés, on lance une plainte auprès du procureur de la République", à laquelle notre association a décidé de se joindre.

H.fr : En 2018, vous aviez tenté d'alerter les medias mais à part trois articles, dont un sur Handicap.fr (en lien ci-dessous), pas davantage d'écho...
OC : Je pensais sincèrement que je détenais une bombe qui allait choquer tout le monde. Mais j'ai eu l'impression, parce qu'il s'agissait d'enfants en situation de handicap, qu'on pouvait s'en servir comme cobayes et que ce n'était pas si grave...

H.fr : De grandes découvertes scientifiques ont parfois été faites de manière expérimentale, malheureusement au "détriment" de certains patients...
OC : Un membre du gouvernement m'avait, en effet, confié "qu'on avait fait cela aussi pour le Sida". Mais le Sida on en mourrait, l'autisme non, donc il faut prendre le temps de mener ces essais. "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme", disait Rabelais. Il est nécessaire que la recherche avance mais il faut rester dans les clous des autorisations. Ce n'est pas pour rien que l'ANSM existe et met en place des protocoles rigoureux, encadrés par un comité d'éthique. Or, là, on est face à des généralistes qui inscrivent des cocktails explosifs sur des ordonnances. Rien ne peut le justifier.
 
H.fr : Pour en revenir aux medias, qui sont en général assez friands des scandales sanitaires, comment expliquer leur désintérêt ?
OC : Ils s'intéressent à l'autisme par un certain biais, celui du témoignage un peu sensationnel, voire voyeuriste : les mamans qui montent sur des grues, les Asperger spectaculaires, les parents à bout... Mais les journalistes manquent parfois de culture scientifique, relayant assez facilement les fake news : le vaccin donne l'autisme, les écrans aussi, tout comme les amalgames dentaires... Ils ne sont donc pas suffisamment formés sur les méthodes recommandées par la Haute autorité de santé en matière d'autisme et semblent méconnaître les limites de la loi dans ce domaine. Non, un médecin ne peut pas prescrire n'importe quoi qui n'a pas été validé scientifiquement !

H.fr : Votre enquête met en cause des sommités dont on mesure la puissance...
OC : Oui, il y a manifestement une omerta du côté des grands professeurs de médecine qui bénéficient de soutiens puissants... On l'a bien vu avec l'Ordre des médecins qui a, certes, agi mais trop mollement, sans avoir convoqué tous les praticiens identifiés. Il y a un esprit de confrérie manifeste.

H.fr : Et du côté des familles ?
OC : Certaines revendiquant le droit de tout tester, j'ai bien conscience que je vais aussi avoir de nombreux détracteurs de ce côté-là... Mais j'entends dénoncer l'omerta qui, sévissant dans le monde de l'autisme, entraîne des parents à bout dans ce type de dérives. Des asso et fondations -elles sont citées dans mon livre- étaient au courant ; certaines ont manifesté leur désapprobation sur les réseaux sociaux mais sans aller plus loin, sans porter plainte... Je réclame donc le changement de direction de certains établissements médico-sociaux complices de ces essais illégaux. C'est de la non-assistance à personne en danger. Il serait temps de faire le ménage dans ce milieu...

H.fr : La sortie de votre livre, le 24 septembre 2020, vous met-elle en danger ?
OC : Je ne redoute rien. Parce que je suis soutenue par l'ANSM et les ordres des médecins et des pharmaciens, et parce que j'ai la loi de mon côté... J'en ai marre d'entendre dire que l'autisme est une "maladie", un "fléau", une "épidémie" dont on pourrait "guérir", ce que promettent tous ces charlatans.

H.fr : Vous ne dénoncez donc pas le fait de pouvoir agir sur certains troubles ?
OC : Bien sûr que non. Je n'ai pas envie que mon fils "guérisse" de l'autisme mais je serais en effet soulagée si ses tocs, stéréotypies, crises de violence, insomnies ou sélections alimentaires pouvaient être atténués. Certains chercheurs sont, par exemple, en train de mettre au point des sirops pour améliorer la concentration, le sommeil... Voilà du concret qui aiderait vraiment les familles et ferait du bien aux enfants. D'autres pistes sont à l'étude mais les conclusions ne font pas encore consensus.

H.fr : Avez-vous des preuves de tout ce que vous dénoncez ?
OC : Tout ce qui est publié peut être vérifié, documents à l'appui. Lorsque nous n'avions que des "suspicions", nous sommes restées prudentes, ce qui ne nous empêchera pas de continuer à suivre ces pistes.

H.fr : D'autres combats ?
OC : Oui, nous allons attaquer les géants du Net, qui font la promotion d'ouvrages de pseudoscience ou diffusent des vidéos fake (ndlr : fausses) polémiques. Certains ont déjà commencé à les retirer en mars 2019 (article en lien ci-dessous) mais il en reste un paquet...

H.fr : Le mot de la fin ?
OC : J'ai foi en la Justice. Quand les politiques ne veulent rien faire, que les medias sont un peu mous, il ne nous reste qu'elle.

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