Handicap : des millions d'Européens privés de droit de vote

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"Le droit de vote, question de dignité humaine", martèle le CESE. Pourtant, 400 000 citoyens européens avec un handicap mental, notamment, en sont privés. Il adopte un avis pour garantir l'accessibilité des prochaines élections européennes de 2024.

 

En 2018, en Espagne, María del Mar Caamaño Valle se voit retirer son droit de vote au motif qu'elle présente une déficience intellectuelle (article en lien ci-dessous). « Nul ne devrait en être privé à cause de son handicap. Les personnes en situation de handicap intellectuel ou psychosocial ne font pas exception (…) même si un juge a évalué au préalable les capacités cognitives de cette personne et son état de santé mentale », déclarait alors Dunja Mijatović, commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe.

Un droit dénié ailleurs

« A notre époque, il semble incroyable, voire scandaleux, que, sur le territoire de l'Union européenne, la dernière interdiction du droit de vote des femmes n'ait été levée qu'en 1976, soit exactement 70 ans après la Finlande (ndlr : pays pionnier sur cette question). Rares pourtant sont ceux qui s'offusquent de voir aujourd'hui ce même droit dénié à des millions de citoyens de l'Union pour la seule raison qu'ils ont(…) un handicap », réagit Krzysztof Pater, membre du Comité économique social européen (CESE), organe consultatif de l'UE qui représente la société civile. Il s'exprime à l'occasion de la publication par la Commission européenne de la nouvelle stratégie sur les droits des personnes handicapées pour 2021-2030, qui a pour ambition d'améliorer la situation de près de 100 millions d'Européens concernés (article en lien ci-dessous). Etre en « bonne santé » serait-elle la condition sine qua non pour pouvoir voter ?

Elections accessibles, un idéal ?

« Dans huit Etats membres, vous ne pourrez pas voter à moins d'être en bonne santé et de pouvoir vous rendre physiquement au bureau de vote », répond M. Pater, qui a mené plusieurs enquêtes sur « les 27 » entre 2016 et 2018 afin d'identifier les limitations et obstacles rencontrés par les électeurs handicapés. « Si vous êtes aveugle, 18 Etats membres ne vous donneront pas la possibilité de voter de manière autonome. Si votre handicap vous empêche d'utiliser vos mains, vous ne pourrez pas voter dans les neuf pays où l'on choisit son candidat en indiquant son nom sur le bulletin », déplore-t-il. Les résultats de ses recherches ont été publiés dans le rapport d'information intitulé « La réalité du droit de vote aux élections européennes pour les personnes handicapées », adopté par le CESE deux mois avant les élections européennes de mai 2019. Sa conclusion ? « En raison de ces obstacles juridiques et techniques, aucun pays de l'UE ne serait en mesure de garantir que les élections seront pleinement accessibles à tous ». Face à ce constat, il entend essaimer 200 bonnes pratiques collectées dans tous les Etats membres et ainsi inciter les réfractaires à agir.

Pour des élections accessibles en 2024 !

Si Krzysztof Pater a noté « quelques changements positifs » en Allemagne et en France en amont des élections européennes de 2019 ayant permis de réduire de moitié le nombre de personnes privées de voter en raison de leur handicap mental, 400 000 d'entre elles étaient toujours concernées dans 14 pays de l'Union. Sans compter, selon lui, les millions d'électeurs potentiels empêchés en raison de dispositions techniques ou organisationnelles... Une « discrimination inacceptable » pour le CESE, qui incite à prendre des mesures en vue des prochaines élections de 2024.

Les mêmes normes pour tous

Pour ce faire, le 2 décembre 2020, le CESE invite à modifier « d'urgence » l'acte électoral de 1976. Objectif ? Mettre en place des « normes » communes . Elles supposent, notamment, des dispositions techniques pour garantir le vote autonome des électeurs nécessitant une assistance importante, telles que les personnes sourdes, déficientes visuelles ou avec une « capacité manuelle limitée ». Dans le viseur, également, les règles nationales qui empêchent certains citoyens de changer de bureau de vote, mieux adapté à leur handicap. « Ce n'est pas possible dans 12 pays », pointe Krzysztof Pater. « Ce droit fondamental est une pierre angulaire de la démocratie européenne. Mais c'est, avant tout, une question de dignité humaine. Pourquoi continuons-nous à le dénier à un si grand nombre ? », s'impatiente-t-il.

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