Une passerelle pour accompagner les personnes handicapées vers un emploi durable, tel est le rôle du CDD tremplin, proposé par les entreprises adaptées. Mais est-ce que ça fonctionne vraiment ? Retour d'expériences avec 11 candidats près de Lyon.
Le chômage, une épée de Damoclès qui, en cette période de crise, plane au-dessus de nombreuses têtes et particulièrement celles des personnes handicapées. Ces dernières années, de nouvelles solutions voient le jour pour remettre sur le chemin de l'emploi les 500 000 personnes qui en sont privées. C'est notamment l'ambition du CDD tremplin, proposé par les entreprises adaptées (EA) pour favoriser une transition progressive vers le milieu ordinaire. Un projet qui a séduit l'EA DSI (Distribution de services industriels) et l'enseigne Auchan de Caluire, près de Lyon, qui expérimentent ce dispositif depuis avril 2020 avec onze travailleurs en situation de handicap. Cette collaboration a fait l'objet d'un séminaire de retour d'expérience le 9 septembre 2020, dans les locaux du supermarché. L'occasion pour André Farrugia, directeur des ressources humaines de ce dernier, et Jean-Louis Ribes, fondateur et dirigeant de DSI, de faire un point d'étape sur cette « expérience aussi utile qu'enrichissante ».
Handicap.fr : Quel est le rôle du CDD tremplin ?
Jean-Louis Ribes-DSI : Servir de tremplin pour accompagner les personnes en situation de handicap vers un emploi qualifiant et durable. Prévue par l'article 78 de la loi Pour la liberté de choisir son avenir professionnel, cette expérimentation d'un accompagnement des transitions professionnelles est ouverte à des EA volontaires, qui souhaitent embaucher des personnes en situation de handicap sans emploi ou qui risquent de le perdre en raison de leur handicap, dans le cadre d'un contrat d'une durée de quatre à vingt-quatre mois (hors cas de dérogation). A l'issue de cette période, l'entreprise partenaire a le choix de les recruter. Notre vocation, en tant qu'EA, est d'accompagner le travailleur jusqu'à cet aboutissement.
H.fr : Quand et pour quelles raisons l'avez-vous mis en place ?
JLR-DSI : Dès le début de l'expérimentation, en 2018, pour proposer de nouvelles possibilités d'emploi. Par ailleurs, ce dispositif permet aux EA d'être encore plus réactives, d'une part vis-à-vis des demandes d'emploi et, d'autre part, à l'égard de nos clients en quête de candidats pour des métiers en tension. Pour information, depuis début 2020, seule la RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) est requise pour y accéder.
André Farrugia-Auchan : Un peu par hasard... Nous avons, depuis longtemps, une politique d'inclusion volontariste du handicap mais avec des difficultés périphériques (logement, transports, horaires…). Quand j'ai rencontré l'équipe DSI, j'ai été séduit par son expérience, son savoir-faire et son approche globale de prise en compte de toutes ces problématiques.
H.fr : Quelle est la particularité de DSI ?
JLR-DSI : Notre objectif est de nous adresser au plus grand nombre. Ainsi, nous ne recrutons pas sur CV, expériences et compétences mais sur motivation et aptitude. C'est ensuite à nous d'aider le travailleur à acquérir des compétences. D'autre part, l'objectif national est de 30 % de sorties positives (ndlr, personnes embauchées à l'issue du CDD tremplin), chez DSI, nous visons 100 %. Pour ce faire, nous signons systématiquement une convention d'intention avec nos entreprises partenaires avant même le démarrage du projet, signe d'une volonté commune d'un recrutement pérenne pour un maximum de travailleurs.
H.fr : Concrètement, comment se matérialise l'accompagnement que vous prodiguez ?
JLR-DSI : Notre accompagnement s'articule autour de quatre piliers :
- L'accompagnement professionnel général, qui consiste à apprendre les codes de l'entreprise ou encore la rédaction d'un CV...
- L'accompagnement professionnel métier. Chez Auchan, par exemple, nous aidons les candidats à maîtriser le poste d'hôte de caisse et d'employé libre-service. Ils avaient également bénéficié d'une formation de trois mois, au préalable, durant laquelle ils ont notamment appris le fonctionnement d'une caisse, la mise en rayon et les clés pour travailler dans la grande distribution. Objectif : leur donner un bagage théorique et pratique afin qu'ils puissent être confiants leur de leur prise de poste puis rapidement monter en compétence.
- L'accompagnement social. Concrètement, des travailleurs sociaux les accompagnent sur les sujets du logement, de la santé, de la famille... Toutes les entreprises ne le proposent pas mais il nous semble essentiel pour mettre des personnes éloignées durablement de l'emploi dans de bonnes dispositions pour travailler.
- Enfin, l'accompagnement vers la sortie en milieu ordinaire. Pour maximiser les chances d'une sortie positive, nous continuons un suivi, le plus souvent mensuel, plusieurs mois après la fin du contrat, afin de nous assurer que la personne est bien intégrée et maintenue en emploi.
H.fr : Quelle est la durée du contrat des onze travailleurs que vous accompagnez chez Auchan Caluire ?
JLR-DSI : Ils ont fini leur formation mi-juillet et sont désormais dans la phase d'accompagnement. En général, nous proposons un CDD de 12 mois, c'est un bon compromis. En-dessous, c'est un peu juste. Plus ? Ça peut arriver mais, souvent, l'entreprise partenaire considère que tous les sujets sont acquis au bout d'un an.
H.fr Comment s'est passée leur intégration ?
JLR-DSI : Très bien ! Nous avons pu mettre en place les adaptations de poste nécessaires pour qu'ils se sentent à leur aise. Un chef d'équipe DSI présent sur le site permet d'entretenir une communication fluide avec les managers Auchan et de consacrer du temps à l'accompagnement de nos salariés. L'accueil au sein du magasin a été formidable, avec un engagement fort. L'équipe a eu la souplesse d'organisation et la bienveillance dont nous avions besoin.
AF-Auchan : Entre l'accompagnement de DSI, de B2SA (notre partenaire formation) et les équipes Auchan habituées à intégrer des personnes de tous horizons, nous avions toutes les conditions pour réussir ! Pourtant, le confinement aurait pu compromettre cette collaboration... Mais nos deux partenaires ont réussi à garder le lien avec chaque travailleur afin de les aider à traverser cette épreuve.
H.fr : A ce jour, qu'ont-ils tiré de cette expérience ?
AF-Auchan : Une preuve de confiance forte qui les a confortés à persévérer et surmonter les difficultés en emploi. C'est ce qui ressort de nombreux échanges.
H.fr : Et vous ?
JLR-DSI : Pour nous aussi car nous devons systématiquement nous adapter et personnaliser notre accompagnement pour que la réussite soit au rendez-vous. Plus largement, le CDD tremplin nous permet de travailler avec nos clients sur leur cœur de métier mais aussi de changer le regard que les entreprises portent sur les EA. Par ailleurs, nous avons, dès le début, voulu profiter de cette opportunité pour construire les bases solides d'un modèle que nous pourrions ensuite dupliquer à grande échelle. Ces leçons nous seront précieuses pour la suite.
AF-Auchan : Cela nourrit aussi notre projet humain et renforce la « fierté de faire réussir ensemble », comme le prône notre slogan, en donnant du sens à l'engagement des collaborateurs.
H.fr : Envisagez-vous de la renouveler ?
En chœur : Oui, le plus possible !