Margot, handicapée, 19 ans: "j'ai l'impression de devenir mon fauteuil roulant"

Imprimer

Margot, 19 ans, est atteinte d'une maladie qui la fatigue beaucoup et lui cause diverses douleurs. Pour continuer à profiter, elle sort de temps en temps avec son fauteuil roulant et constate: l'attitude des autres changent. Elle raconte.

Je souffre du syndrome d'Ehlers Danlos -que beaucoup pensent rare, mais qui n'est en réalité que peu diagnostiqué. Il s'agit d'une maladie du tissu conjonctif qui induit beaucoup de douleurs en tout genre (peau, muscles, articulation) et donc de fatigue. 

J'ai une utilisation du fauteuil que beaucoup de personnes valides -ou qui n'ont personne dans ce cas autour d'eux- n'imaginent pas. Je l'utilise en cas de grand trajet, de longues journées ou quand je suis en début de crise et que les douleurs se font plus fortes. Il est là quand j'en ai besoin, mais je n'y suis pas en permanence. 


J'ai l'impression de devenir le fauteuil

Pour beaucoup de personnes, le fauteuil roulant est un objet diabolique. Lorsque j'annonce que je vais en avoir besoin, je lis de l'effroi dans le regard de certaines de mes connaissances. Ça fait peur. On me dit: "Ah oui, tu es vraiment malade", ça devient la preuve que je ne vais pas bien pour eux. Si je suis en fauteuil, c'est grave. 

Dans la rue, les gens adoptent un comportement différent avec moi: s'ils souhaitent s'exprimer, ils s'adressent automatiquement à celui ou celle qui me pousse; les regards me passent parfois au-dessus; ils n'osent pas me sourire ou s'adressent à moi comme à une enfant, en parlant doucement. J'ai l'impression de devenir le fauteuil et de ne plus être une personne. Dans les commentaires d'une de mes vidéos (ci-dessous), un internaute m'a demandé s'il devait sourire aux personnes en fauteuil dans la rue. Je lui ai simplement demandé: "si elle avait été à pied, lui aurais-tu souris?" 

Le fauteuil semble anéantir le rapport de séduction, comme s'il le faisait disparaître. A pied, j'échange des sourires, des regards. Mais dès lors que je m'installe dans mon fauteuil, c'est comme si j'étais désexualisée. En Italie, un beau jeune homme à qui j'ai souri n'a pas du tout réalisé que j'étais aussi une jeune femme qui pouvait le draguer -et ne parlons même pas de la sexualité des gens en situation de handicap: c'est tabou. 


C'est un outil, comme un pull quand on a froid

En fauteuil, c'est compliqué, mais ça l'est principalement parce que les villes, les transports, les magasins, ne sont pas adaptés. Refuser l'accès à certains lieux aux personnes à mobilité réduite représente pourtant un refus de pleine citoyenneté: comment profiter des mêmes droits si on ne peut pas aller dans les mêmes endroits? 


J'ai la chance d'avoir une famille très sensibilisée à ces questions et ouverte à la discussion. Mais ce n'est pas le cas de tous: certains parents refusent le fauteuil à leurs enfants car ils refusent de voir la maladie. Pour eux, le regard des autres est trop difficile à supporter. Ils ne réalisent pas que cela peut aussi améliorer la vie.  

Avec mon fauteuil, je peux sortir plus, mieux profiter et plus longtemps. Je ne suis pas obligée de chercher sans cesse des endroits où m'appuyer. Aussi, j'évite le harcèlement de rue -on ne m'a jamais parlé, klaxonné ou sifflé dans la rue quand j'étais en fauteuil, ce dont je ne vais pas me plaindre mais qui est aussi la preuve qu'on ne me considère pas de la même façon que les autres.  

Le fauteuil est un outil, comme des chaussures de marche en randonnée, comme des béquilles quand on a la cheville cassée, comme un pull quand on a froid. Il faut oublier la connotation négative du fauteuil, tout cet imaginaire très lourd que l'on associe à l'hôpital, à la vieillesse, ou à la maladie qui va tuer. 


Margot est blogueuse et possède une chaîne YouTube intitulée "Vivre Avec"

Article l'Express - Publié le 23/07/2016

Les commentaires sont fermés.