Les formes génétiques des troubles du spectre autistique seraient-elles sous-évaluées ? Oui, affirme l'Institut Imagine qui défend l'intérêt d'étendre le dépistage génétique et en a fait la priorité de sa feuille de route. Le point sur les avancées.
Les troubles du spectre autistique (TSA), une véritable question de santé publique ! Très hétérogènes et complexes, ils touchent environ 1 enfant sur 200 et environ quatre fois plus les garçons. On estime aujourd'hui que 30 à 35 % des TSA ont une origine génétique, ce chiffre étant très certainement sous-estimé. A l'occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, le 2 avril 2021, Imagine fait le point sur ces troubles, les avancées de la recherche et revient sur les projets en cours au sein de cet institut dédié aux maladies génétiques. Entretien avec le Pr Stanislas Lyonnet, généticien, son directeur, et le Pr Arnold Munnich, pédiatre, généticien et président de son conseil d'administration.
Q : Qu'est-ce que l'autisme, ses causes et conséquences pour les personnes concernées ?
Arnold Munnich : Ce qu'on appelle communément l'autisme se manifeste de manière générale comme une anomalie de la relation de l'enfant avec son entourage et un trouble de la communication avec des intérêts restreints. L'autisme rassemble en réalité une grande diversité de troubles du neuro-développement, regroupés sous le terme de troubles du spectre autistique (TSA). Ils ne sont pas systématiquement associés à un déficit intellectuel, les signes et symptômes varient d'un enfant à l'autre, en intensité, et en fonction de l'âge et du sexe. Les symptômes surviennent avant l'âge de trois ans puis persistent. Les enfants présentent le plus souvent des difficultés lors de l'apprentissage et de l'insertion sociale. Les TSA sont l'une des premières causes de consultation sur le site de l'Institut Imagine, à l'Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP. Ils ont de multiples causes, certaines génétiques, d'autres environnementales.
Q : Comment les TSA sont-ils pris en charge ?
AM : La première étape consiste à recevoir les enfants en consultation, les examiner, puis écouter les parents. On s'attache à faire la part des choses, dans une approche rationnelle qui repose sur un travail d'équipe, la compréhension des mécanismes, la prise en compte des symptômes et une approche éducative. La prise en charge, multidisciplinaire et individualisée, en lien avec les établissements spécialisés et les psychiatres de proximité, doit proposer aux familles une panoplie pour faciliter l'acquisition d'indépendance pour le patient, l'amélioration de l'apprentissage, de la communication et de la qualité de vie. L'objectif ? Permettre à l'enfant d'avoir un projet de vie. Aujourd'hui, une prise en charge psychothérapique et orthophonique est possible.
Q : Vous proposez des consultations dédiées ?
AM : Oui, à Necker et Imagine sont proposées des consultations conjointes de psychiatrie et génétique. La consultation de génétique vise à élucider la cause organique à l'origine du trouble pour poser un diagnostic et nommer la maladie. Car nommer, c'est déjà soigner, c'est prendre en compte les symptômes, parfois avec des médicaments, parfois avec des méthodes éducatives ou rééducatives adaptées, mais c'est aussi avant tout en finir avec la culpabilisation des parents.
Q : Nommer le trouble, et plus précisément le mécanisme du trouble, est souvent perçu comme une délivrance pour les parents ?
Stanislas Lyonnet : Oui, comme dans toutes les maladies génétiques ou à forte composante génétique. Le diagnostic précoce des TSA, suivi d'une prise en charge adaptée, peut se traduire par une amélioration significative de l'évolution de l'enfant. Un diagnostic génétique a aussi un impact majeur sur les futurs projets d'enfants. Et, bien sûr, la découverte des causes peut ouvrir la voie vers de possibles traitements grâce à une meilleure compréhension des mécanismes. Si la cause génétique n'a pas été identifiée en consultation, les équipes de recherche d'Imagine prennent le relai pour tâcher d'identifier de nouveaux gènes.
Q : Lors du séminaire Imagine Pierre Royer, dédié à la psychiatrie et à la génétique, le 19 mars 2021, vous avez présenté une étude sur les consultations de génétique clinique pour les TSA...
AM : Depuis 20 ans, je mène une vaste étude en collaboration avec des collègues franciliens, l'Institut Imagine et la Fondation l'Elan retrouvé. La méconnaissance des progrès récents, les idées préconçues sur la pathogénie de l'autisme et l'absence de marqueurs biologiques de dépistage dissuadent nombre de professionnels d'explorer les enfants porteurs de TSA et les conduisent parfois à contester l'origine organique de la maladie. L'étude a montré que les formes génétiques de ces troubles sont encore largement sous-évaluées et mis en évidence l'intérêt d'étendre le dépistage génétique à un nombre plus important de patients, et notamment ceux ayant des TSA avec déficit intellectuel.
Q : Des consultations de génétiques commencent donc à voir le jour ?
AM : Pour offrir aux patients un meilleur accès aux soins, nous avons inversé le paradigme et proposé des consultations de génétique sur site, dans les hôpitaux de jour et institutions spécialisées de la région francilienne. Plus de 500 patients ont à ce jour bénéficié de consultations sur site et d'un accès à une plateforme de génétique moléculaire grâce à une équipe mobile de génétique médicale composée de coordinateurs, neuropsychiatres, conseillers en génétique et généticiens-cliniciens.
Q : A quelles questions ces consultations tentent-elles de répondre ?
AM : A cinq questions clés : le TSA est-il isolé ou syndromique, sporadique ou familial, avec déficience intellectuelle ou non, lié à des facteurs de risque (FIV, prématurité, âge des parents, consommation de drogues…), le diagnostic est-il solide ? Un bilan est effectué en ambulatoire, comportant une recherche d'expansion du gène FMR1, une analyse chromosomique comparative sur puces à ADN et un bilan métabolique.
Q : Et si ces tests sont négatifs ?
AM : Ils sont suivis d'une IRM, d'un ECG (électrocardiogramme) puis d'une analyse moléculaire par séquençage (NGS).
Q : Y a-t-il eu d'importantes avancées en recherche ces dernières années ?
SL : Aujourd'hui, des anomalies dans plusieurs centaines de gènes ont déjà été identifiées dans les TSA. Imagine a contribué à cela grâce à l'expertise de plusieurs de ses laboratoires de recherche et plateformes mais aussi des services hospitaliers et centres de référence présents sur le campus. Plusieurs laboratoires d'Imagine restent mobilisés sur ce thème.
Q : Quelques exemples ?
SL : L'équipe de « Génétique et développement du cortex cérébral » affiliée à Imagine et à l'Institut de psychiatrie et neuroscience de Paris de Sainte-Anne, dirigée par le Dr Alessandra Pierani, analyse l'expression et le rôle des gènes en cause dans les TSA au cours du développement précoce du cortex cérébral. Ou encore le laboratoire de recherche en imagerie cérébrale, Image@Imagine, dirigé par le Pr Nathalie Boddaert, développe des outils non invasifs d'exploration du fonctionnement en activité du cerveau. Grâce à la technique l'IRM 3T et l'eye-tracking, Nathalie a déjà pu mettre au jour des anomalies du sillon temporal supérieur, une région du cerveau connue pour son implication dans la reconnaissance de « l'autre », et apporter de nouveaux éléments pour la compréhension de la variabilité des comportements sociaux et de ses substrats neuronaux qui pourraient contribuer à une meilleure compréhension des TSA, ouvrir la voie vers un diagnostic plus précis, avec, à terme, l'espoir d'une prise en charge adaptée à chaque sous-famille de troubles et la mise au point de traitements individuels.
Q : L'Institut Imagine a fait de la recherche et de la prise en charge des TSA une priorité ?
SL : Le nombre de patients qu'ils touchent, la complexité clinique et leur hétérogénéité génétique font des TSA une véritable question de santé publique. Imagine ne peut rester indifférent à l'appel des familles, et en a donc fait l'une des priorités de sa feuille de route. Ainsi, ses médecins et chercheurs ont pour projet d'étendre l'exploration des origines des TSA en étudiant des facteurs pouvant mettre en jeu plusieurs gènes, des régions non-codantes de l'ADN et même des marques épigénétiques. Un projet de chaire multidisciplinaire dédiée aux troubles du neuro-développement porterait sur les formes complexes, syndromiques, familiales ou extrêmes de TSA.
Q : Un appel d'offre international a été lancé fin 2020...
SL : Oui, dans le but de recruter au sein d'Imagine une équipe dédiée à la neurogénétique du développement, qui s'intègrera dans cet ensemble et travaillera sur l'identification des gènes et le décryptage des mécanismes impliqués.