Emploi : jeunes handicapés, génération doublement sacrifiée?

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Jeune handicapé, en recherche d'emploi en pleine pandémie, c'est la double peine. Au manque d'accessibilité du monde professionnel, s'ajoute une crise qui les place au second rang et entame leur motivation. Mais des dispositifs existent...

 

« La situation explosive dans laquelle se retrouve la jeunesse française pourrait bien déclencher une nouvelle crise sociale majeure », redoute le Cercle des économistes. Et pour ceux en situation de handicap ? Leurs aspirations professionnelles se heurtent à de nombreux obstacles, amplifiés par le handicap (rupture du parcours scolaire, réticence des employeurs, inaccessibilité des lieux, des transports, du logement...) et maintenant par cette crise sanitaire sans précédent. Résultat : un taux de chômage d'environ 30 %, contre 21,8 % pour l'ensemble des 15-24 ans. « Jeunes en situation de handicap et emploi, une génération doublement sacrifiée ? », cette question était au cœur d'un webinaire éponyme, organisé par APF France handicap le 17 novembre 2020 (vidéo ci-contre).

Témoignages

« Le manque de sensibilisation des professionnels de l'emploi au handicap entraîne un manque d'individualisation des accompagnements », déplore Océane Michel, 23 ans, tétraplégique, malvoyante et malentendante, à qui un conseiller Cap emploi, au sein d'une agence de surcroît inaccessible en fauteuil roulant, a proposé de faire… les vendanges !* (précisions apportées par Cap emploi en fin d'article). « Au lieu de m'aider à chercher une formation ou un travail, on m'a aussi conseillé de rester chez moi au motif que mon handicap était trop lourd et que je gagnerais plus d'argent qu'en allant travailler », déplore-t-elle regrettant que certains « valides assimilent le handicap lourd à la déficience intellectuelle ». Même constat pour Adelina Bouilly, 25 ans, qui souffre d'une maladie articulaire évolutive, un handicap qu'elle a longtemps tu et lui valait des propositions d'embauche inadaptées. « Les conseillers Pôle emploi ne comprenaient pas pourquoi je refusais toutes ces offres », explique la jeune femme. Jusqu'au jour où elle rencontre un agent lui-même concerné par le handicap invisible qui lui propose, finalement, des offres adaptées. Aujourd'hui, elle milite pour une formation optimale de tous les conseillers au handicap, a fortiori avec le rapprochement en cours avec le réseau spécialisé Cap emploi (article en lien ci-dessous). De son côté, après deux ans de « galère », Anthony, 26 ans, a obtenu un CDD tremplin en tant qu'ouvrier dans la préparation à la numérisation. Il se réjouit d'avoir découvert un métier enrichissant et acquis de l'autonomie « grâce à l'accompagnement d'APF France entreprises ».

Moins d'infantilisation, plus de dépendance

Comme Océane, Adelina et Anthony, les jeunes en situation de handicap veulent disposer d'informations claires, de conseils et d'un soutien personnalisé, bénéficier d'une accessibilité réelle aux biens et aux services, avoir la possibilité de travailler et de vivre chez eux ainsi qu'une mobilité facilitée, détaille APF France handicap. Mais deux obstacles majeurs leur barrent la route, selon Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l'association Droit au savoir qui milite pour leur insertion professionnelle : « l'infantilisation de la jeunesse et la problématique des représentations sociales ». Or « les jeunes veulent sortir de l'assistanat et de la dépendance », assure-t-elle. Deux enjeux majeurs, selon elle : « la modalité pédagogique et la capacité du système éducatif à pouvoir répondre à la diversité des parcours ». Plusieurs outils existent (dispositifs passerelles, de la seconde chance) mais se pose le problème de leur lisibilité puisque de nombreux élèves « sortent des radars ».

Besoin d'exemples inspirants

Samuel Carvou, chargé de mission APF France handicap des Hauts-de-France, a également constaté que ces derniers réclament des exemples inspirants et souhaitent rencontrer des personnes handicapées qui exercent le métier auxquels ils aspirent. C'est notamment l'ambition d'une future plateforme régionale qui proposera des mises en situation (stages, rencontres de professionnels) afin de construire un « projet pro réaliste ». Dans la région voisine, Jacques Dangleterre, chargé de projet handicap jeunes au sein de Convergence 93, association du réseau des missions locales de Seine-Saint-Denis, propose un accompagnement renforcé et progressif pendant environ un an aux jeunes sortis du système scolaire. Son rôle consiste à travailler sur leurs attentes, leurs désirs, rencontrer les familles si nécessaires et les aider à faire une demande de Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) lorsque le handicap n'est pas connu. Mieux armés, ils peuvent ensuite avoir accès à une mission de service civique, une formation puis un emploi.

Un « retour sur investissement »

« En cette période de crise, les employeurs doivent faire preuve du plus d'agilité possible », exhortait, lors du lancement de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées le 16 novembre 2020, Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, qui assure « un vrai retour sur investissement » aux entreprises qui optent pour une politique RH inclusive. Et de citer un concessionnaire automobile qui, depuis l'arrivée de son hôtesse d'accueil porteuse de trisomie 21, a constaté un changement d'attitude de sa clientèle, beaucoup moins virulente, faisant baisser le taux de mécontentement de ses clients de 30 % en six mois.

Même constat favorable pour Julie, titulaire d'un bac+4, au parcours professionnel longtemps chaotique. « C'est grâce à ma grande sensibilité, mon écoute, ma patience que mon entreprise a su me compter parmi ses bons éléments, explique la jeune femme en situation de handicap psychique. Travailler participe chaque jour à mon maintien en société et à ma petite guérison, me permet de souffler et de me détacher de mon talon d'Achille qui, finalement, peut être un véritable atout. » La ministre appelle donc les managers à faire de preuve de « vigilance » au sujet du handicap invisible, dont ils sont « entourés ». « Ces salariés ne se déclarent pas, par peur du changement du regard des autres, d'être freiné dans leur carrière, notamment les cadres, qui surcompensent toute la journée en ayant recours à de multiples stratagèmes », observe-t-elle.

Mesures exceptionnelles pour l'alternance

Des mesures incitatives ont été prises, dans le cadre du plan France relance, pour soutenir l'alternance en période de crise (article en lien ci-dessous). L'Agefiph (fonds dédié à l'insertion des personnes handicapées dans le privé) propose en parallèle une prime « pour aider à la conclusion de nouveaux contrats », en apprentissage ou professionnalisation. Revalorisée, elle peut désormais atteindre de 3 000 à 4 000 euros pour le recrutement d'un apprenti et de 4 000 à 5 000 euros pour la professionnalisation. Depuis la mi-juin 2020, une autre « aide exceptionnelle de soutien à l'emploi d'une personne handicapée en contrat d'apprentissage », de 1 500 à 2 500 euros selon l'âge du demandeur, est également proposée aux employeurs afin de sécuriser le parcours des travailleurs déjà en poste dans les TPE/PME.

Pour l'heure, seuls 1 % des apprentis sont en situation de handicap. APF France handicap exhorte le gouvernement à agir davantage pour atteindre un taux de 6 %, à la hauteur de celui qui est exigé dans les entreprises de 20 salariés et plus, « en évaluant mieux les besoins, dans une logique de portabilité ». Message reçu ?



*Suite au témoignage d'Océane, Cap emploi précise  que « sans remettre en question son parcours difficile », ses services ne trouvent « la trace que d'un seul entretien datant de 2017, la personne n'ayant pas donné suite aux propositions de rendez-vous ». Ni mise en relation sur des offres d'emploi, ni reprise de contact récent. Cap emploi ajoute : « Il nous faut tous entendre la parole de personnes qui n'ont pas trouvé de solution ou qui estiment l'accompagnement perfectible. Mais baser l'expertise des Cap emploi et leur professionnalisme sur une seule interview reviendrait à nier l'implication des équipes sur le terrain et les nombreux témoignages d'accompagnement ayant abouti positivement. »

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