Non, la fibromyalgie n'est pas une pathologie de "fille fragile", et les patients des "malades imaginaires". L'Inserm fait le point sur cette maladie chronique complexe et méconnue qui, bien que touchant 2% des Français, souffre de préjugés tenaces.
Douleurs diffuses et persistantes, fatigue intense, troubles du sommeil, de l'humeur ou encore cognitifs... Ce n'est qu'un échantillon des symptômes de la fibromyalgie. Des symptômes bien réels et invalidants qui entravent la vie socioprofessionnelle d'1,4 à 2,2 % de la population française, en majorité des femmes. « Pot-pourri de la médecine », « maladie fantôme », apanage des « filles fragiles »... Méconnue, cette affection chronique est source de nombreux préjugés, et la nécessité d'une prise en charge souvent sous-estimée. En cause, notamment ? L'absence de marqueur biologique spécifique et une origine non identifiée. Jugée trop « difficile », « chronophage » et « peu valorisante », en raison de ses nombreuses comorbidités, elle génère parfois incompréhensions entre soignants et soignés.
Des femmes qui s'écoutent un peu trop ?
« C'est dans votre tête », attestent certains médecins tandis que d'autres évoquent le « profil type des fibromyalgiques : une femme ultra-stressée, déprimée, qui s'écoute un peu trop, réfractaire à tout traitement, qui va nous faire suer ». Résultat : une errance diagnostique délétère qui empêche les personnes concernées de bénéficier d'une prise en charge adaptée. Pourtant, celui que l'on appelle également syndrome fibromyalgique est reconnu comme une pathologie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1990. « Non, nous ne sommes pas des malades imaginaires », revendiquent les associations de patients qui plaident pour une connaissance plus approfondie de celle qui leur « gâche la vie ».
1 600 documents analysés par 15 experts
Dans ce contexte, la Direction générale de la santé (DGS) a sollicité l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) pour réaliser une expertise collective afin d'obtenir un bilan des connaissances scientifiques de la fibromyalgie chez l'adulte, mais aussi d'explorer l'existence éventuelle d'un syndrome similaire chez les jeunes. Objectif ? Formuler des recommandations d'action et établir des priorités de recherche pour mieux comprendre cette pathologie et améliorer l'accompagnement de ceux qui en souffrent. Près de 1 600 documents, publiés au cours des dix dernières années, ont été analysés par quinze experts dans différents domaines : neurologie, pharmacologie, pédiatrie, sociologie, économie de la santé...
Troubles de la concentration et anxieux
Outre des troubles digestifs, neurologiques ou encore musculaires, 75 % des personnes rapportent des difficultés de concentration et d'attention, des oublis ou des « trous de mémoire » et un affaiblissement de la clarté mentale, disant ainsi « fonctionner avec un esprit cotonneux ». Nombre d'entre elles évoquent, par ailleurs, un déconditionnement physique (processus psychophysiologique conduisant à l'inactivité motrice et au repli sur soi) et 85 % présentent des symptômes anxiodépressifs. Quatre études pointent un risque suicidaire plus élevé que dans la population générale. « Enfin, il faut être attentif aux facteurs de risque cardiovasculaire comme la consommation de tabac, d'alcool ou encore l'obésité, plus fréquents chez ces patients », alertent les auteurs de l'expertise, indiquant que deux enquêtes font état de 21 à 35 % de personnes en surpoids et 32 à 50 % obèses.
Une errance qui coûte cher
Pour toutes ces raisons, cette maladie peut entraîner des conséquences médicales et psychosociales majeures (restriction d'activités, arrêts de travail prolongés et, parfois même, troubles moteurs...). « En raison de nombreux examens, de consultations répétées auprès de spécialistes, d'un absentéisme au travail, la fibromyalgie génèrerait d'importants coûts individuels et collectifs », affirment les experts. Ils tiennent cependant à souligner que la fibromyalgie est très hétérogène dans son expression clinique, avec une grande variabilité dans sa sévérité.
« Le diagnostic repose sur des critères cliniques en constante évolution, le rendant difficile à poser », ajoutent-ils, évoquant une « proportion non négligeable de praticiens désarmés ». « Les résultats des études d'imagerie cérébrale (IRM) réalisées jusqu'à présent sont très variables et ne permettent pas d'aider au diagnostic », poursuivent-ils. A ce titre, ils préconisent de ne pas identifier un syndrome fibromyalgique juvénile chez les enfants et les adolescents souffrant de douleurs chroniques diffuses, au risque de passer à côté d'une autre pathologie.
Une prise en charge interdisciplinaire... et du sport !
Quant au traitement, il n'est pas codifié et, le plus souvent, symptomatique. « Si des médicaments peuvent s'avérer ponctuellement efficaces contre certains symptômes, il est important de prévenir le mésusage médicamenteux, notamment en évitant la prescription d'opioïdes contre les douleurs diffuses, surtout chez les jeunes », alertent les experts. Outre une prise en charge interdisciplinaire qui s'adapte à l'évolution des symptômes de chacun, ils préconisent une remise en mouvement précoce via une activité physique adaptée et supervisée régulièrement par un professionnel de santé afin de prévenir ou de limiter le déconditionnement physique. C'est pourquoi ils suggèrent d'étendre à la fibromyalgie les recommandations émises dans une précédente expertise collective de l'Inserm sur la pratique de l'activité physique dans les maladies chroniques (en lien ci-dessous). La psychothérapie peut également permettre de gérer difficultés et éventuelles frustrations et ainsi d'améliorer le bien-être et la qualité de vie des patients. Autre recommandation : développer des recherches « de qualité » sur la douleur chronique généralisée et notamment la fibromyalgie (vécu des patients, impact socioéconomique, origines et conséquences des douleurs qui surviennent dans l'enfance...). Et vite !