Pensées obsédantes, rituels compulsifs... Un million de Français souffrent de TOC, un handicap psychique qui bouleverse leur vie sociale, affective et professionnelle. Des chercheurs ont mis au point des objets connectés pour limiter leur impact.
Sofia passe le plus clair de son temps à (se) nettoyer. Ce n'est ni son travail, ni un plaisir mais un handicap qui a bouleversé sa vie professionnelle et sociale. « Je souffre de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) de contamination qui me poussent à me laver les mains très fréquemment et à éviter tout contact extérieur », explique-t-elle, évoquant la perte de son emploi. « Je n'ai même plus le temps de cuisiner ni de faire des activités », poursuit-elle, se disant rongée par « la culpabilité et la honte ».
Une étude pour améliorer la qualité de vie
Bien que 2 à 3 % de la population, soit un million de Français, soit concernée, ce trouble psychique reste méconnu et stigmatisé. « Il est pourtant aussi invalidant que la schizophrénie ou les addictions », alerte Yannick Ung, ergothérapeute et auteur d'une thèse consacrée à « l'équilibre de vie des personnes présentant des TOC ». Cette recherche fait partie d'un projet plus vaste, AHATOC, porté par Margot Morgiève et Xavier Briffault du Centre de recherche en médecine, sciences, santé et société, qui consiste à analyser le handicap associé à ce trouble anxieux et à développer des solutions concrètes pour réduire son impact. Objectif ? Améliorer la qualité de vie des personnes concernées en s'appuyant sur leur connaissance concrète de la maladie.
Les TOC, quèsaco ?
Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) se manifestent par deux types de symptômes, les obsessions et les compulsions, qui se focalisent sur des thèmes précis (saleté, sexualité, désordre, peur de l'erreur ou d'être responsable de la mort d'autrui...). Ces idées dérangeantes et envahissantes surgissent, bien souvent avant 25 ans, de manière involontaire, contraignante et intrusive. Les compulsions sont, plus précisément, des comportements répétitifs également appelés « rituels » (vérification, rangement, comptage...) exécutés par une personne pour chasser l'objet de son obsession de son esprit ou faire diminuer son anxiété. Malheureusement, ce soulagement n'est que temporaire...
Rétablir un équilibre occupationnel
L'approche thérapeutique actuelle (thérapies cognitives et comportementales et traitements médicamenteux) « ne vise la réduction du handicap que par la réduction de la pathologie », regrettent les auteurs de cette étude qui incitent à prendre en compte le rôle de l'environnement dans la survenue des TOC et à agir directement sur leurs conséquences. Leitmotiv ? « Aujourd'hui, la qualité de vie est trop souvent rattachée à la santé. Il est essentiel d'aborder toutes les sphères de la vie ». Selon Yannick Ung, le but est de rétablir un « équilibre occupationnel qui passe par la gestion de quatre dimensions importantes : satisfaire son besoin de sécurité et de santé, conserver des relations harmonieuses interpersonnelles, avoir un sentiment de mise au défi et une identité personnelle positive ».
Les patients impliqués
Pour ce faire, l'équipe composée de professionnels, d'associations spécialisées et de chercheurs (sociologues, psychiatres, neuroscientifiques, ergothérapeutes) a décidé d'impliquer également les personnes touchées, et leurs proches, et de se rendre sur leur lieu de vie afin de développer des solutions adaptées et personnalisées. De quoi « redonner de l'espoir » à Sofia qui se félicite de ce rôle de « co-chercheuse » ou « co-conceptrice ». « Cette expérience m'a aidée à dédramatiser la situation, m'a valorisée et m'a donné de la force et de l'espoir », affirme-t-elle. « Le fait d'être intégrée dans un processus où le TOC est objet de recherche alors qu'habituellement il est un objet de souffrance amène la personne vers un changement de rapport à son handicap, souligne les auteurs de l'étude. D'objet/victime du TOC, elle devient actrice/transformatrice de celui-ci, opérant ainsi un renversement hiérarchique du positionnement par rapport à son trouble. »
Des solutions technologiques innovantes
Plusieurs solutions technologiques « innovantes » ont été proposées pour réduire le temps consacré aux TOC, la charge cognitive, l'anxiété et améliorer le sentiment de contrôle sur le trouble et l'environnement. L'une des participantes faisait des crises d'angoisse à l'idée de ne pas être la dernière à avoir utiliser son lave-vaisselle. Résultat : elle limitait ses sorties et ses courses mais aussi son temps de travail. Pour changer la donne, l'équipe pluridisciplinaire a mis en place un appareil photo connecté à une application gratuite. Ainsi, à chaque ouverture, elle reçoit un cliché de celui qui manipule le lave-vaisselle, en l'occurrence personne. Un véritable « soulagement » pour cette mère de famille. Un autre participant, qui passait l'aspirateur environ quatre heures par jour, s'est vu proposer un robot aspirateur autonome. « L'idée d'utiliser des outils technologiques pour compenser le handicap psychique est très novatrice en France, pourtant, le besoin est évident », pointent les auteurs de l'étude qui évoquent une « piste prometteuse ». Yannick Ung espère ainsi « encourager de nouvelles pratiques professionnelles, notamment en santé mentale ».
Clap sur la recherche !
Autre atout : cette recherche ne s'arrête pas au domicile et offre également un accompagnement pour se maintenir en emploi ou trouver un travail, réaliser des démarches administratives, prendre part à des activités et retrouver le goût d'une vie sociale. Pour mettre en lumière cette étude, et bien d'autres, auprès des acteurs de terrain, la Firah (Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap) a lancé le programme « Clap sur la recherche ». Le principe ? Diffuser les résultats de recherches appliquées innovantes sur le handicap via des films et autres contenus numériques (vidéo ci-contre). La première d'une longue série pour faire évoluer les pratiques ?