Se sentir utile, c'est le sentiment qui a guidé la vie de Thomas, autiste Asperger. Aujourd'hui aide-soignant, il rêve de rejoindre les rangs du service de santé des Armées pour servir son pays. Portrait d'un jeune homme sur tous les fronts...
Thomas, aide-soignant à domicile, travaille d'arrache-pied depuis le début de la pandémie, à la merci du virus. Pourtant, ce n'est pas le Corona qui l'effraie le plus car « être contaminé fait partie des risques du métier ». Qui alors ? « Les humains, ils ne réagissent pas tous de manière rationnelle et perdent parfois leur sang-froid, c'est déstabilisant », observe ce jeune autiste Asperger. Face au nombre croissant de patients infectés, sa hiérarchie envisage de créer une unité Covid. Des volontaires ? Sur une trentaine de professionnels, seuls deux ou trois répondent à l'appel. Thomas en fait partie. Le réflexe d'un homme prêt à tout pour sauver des vies…
Aider, un rêve d'enfant
« Thomas, que veux-tu faire plus tard ? » Un enfant « lambda » aurait sans doute répondu « pompier », « astronaute », « sportif »... Mais « la norme », ce n'est pas trop le truc du jeune Thomas Gyurjan. « Aider les autres », telle est sa vocation. Au lycée, il se cherche, passe un diplôme de logistique et commercialisation, sans grande conviction, puis cumule des petits boulots en milieu ordinaire et en entreprise adaptée : reprographie, espaces verts... « Rien de bien passionnant », selon lui. « Avec le temps, je désespérais un peu de trouver ma voie », se souvient-il. Mais le 13 novembre 2015, sa vie bascule, comme celle de millions de Français...
L'autisme, critère d'inaptitude à l'engagement militaire initial
Des terroristes prennent d'assaut le Bataclan, faisant 131 morts et plus de 400 blessés. Ce jour-là, les forces de l'ordre et les soignants sont à pied d'œuvre pour tenter de panser ce massacre. Pour Thomas, c'est le déclic. « Je veux en être ! » Se sentir utile, servir son pays, voilà sa destinée. Des valeurs communes à celles de l'armée, au sein de laquelle il tente de s'engager. « Malheureusement, je n'ai même pas pu passer les épreuves physiques, il a suffi d'un entretien pour sceller mon sort », déplore-t-il. Le verdict tombe un mois plus tard, par téléphone : « Refusé, en raison d'un critère d'inaptitude à l'engagement militaire initial ». Ce « critère », c'est l'autisme. Le même qui lui donne du fil à retordre depuis sa plus tendre enfance, à l'école, d'abord, en emploi ensuite. Mais Thomas ne se laisse pas abattre.
Manque de tact professionnel
Bien décidé à « trouver un emploi qui implique le don de soi », il jette finalement son dévolu sur le paramédical. Il reprend ses études et intègre une formation de dix mois pour devenir aide-soignant. « Mis à part quelques difficultés au niveau des interactions sociales, tout se passe bien », se réjouit-il. Mais, au fil des mois, les choses se corsent, et son dernier stage est interrompu pour « mauvaise conduite ». « Je n'ai pas assuré, concède-t-il. J'ai considéré le diplôme comme acquis et me suis relâché. » Son principal reproche ? Le « manque de tact professionnel ». « Il m'arrive, en effet, de laisser place à un humour assez noir, que les gens 'normaux' jugent déplacé, poursuit-il. Je peux comprendre... » En octobre 2019, il obtient finalement son diplôme et travaille dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). « Je ne voulais absolument pas rester inactif », poursuit-il. En parallèle, il nourrit d'autres ambitions...
Du treillis kaki à la blouse blanche
« Un poste de bureau ? Non merci ! », déclare le jeune homme de 27 ans qui se dit plutôt « admiratif » des soldats « qui risquent leur peau pour nous permettre de dormir sur nos deux oreilles ». Si ce n'est sur le front en treillis kaki, alors ce sera en blouse blanche dans un hôpital militaire en tant que civil, « mais je servirai, moi aussi, mon pays, à ma façon, quoi qu'il en coûte », assure-t-il. Il entend alors parler d'une convention passée entre le ministère des Armées, l'association AFG autisme et l'université de Toulouse pour faciliter l'intégration des personnes autistes Asperger en emploi. Le hic ? Elle se limite aux métiers de l'informatique. Thomas est alors orienté vers l'association Bleu network, dédiée à l'accompagnement et l'accès à l'emploi des personnes avec autisme. Son président, Chams-Ddine Belkhayat, contacte les délégués handicap régionaux du ministère des Armées. Sa mission : lui trouver un emploi dans un hôpital militaire. Seulement, pour proposer un poste aux bénéficiaires de la Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (Rqth), ces derniers doivent recevoir, au préalable, un « ordre de recrutement » des ressources humaines. De fait, ils ne créent pas d'embauche mais répondent simplement à un besoin. Or, à ce jour, aucune demande n'a été formulée par le service de santé. Autre option : passer un concours mais, crise sanitaire oblige, ils sont, pour la plupart, annulés. Plus déterminé que jamais, Thomas patiente dans l'espoir qu'une opportunité se présente.
Une volonté à toute épreuve
En attendant, le jeune aide-soignant se presse au chevet de ses patients. « Dans le secteur de la santé à domicile, on prend le temps de les connaître, cela nous humanise un peu plus, estime-t-il. Chaque remerciement me rappelle pourquoi je fais ce métier valorisant. Une profession qui aide aussi à relativiser et nous fait prendre conscience de la chance qu'on a d'être en bonne santé, entouré... » Durant la crise, une certaine solidarité s'est installée au sein de son équipe. « A l'issue de chacune de mes tournées, j'appelle mes collègues pour s'avoir s'ils ont besoin de renfort et inversement, explique-t-il. C'est naturel. »
Véritable sens de l'engagement
L'âme militaire ? « Un véritable sens de l'engagement, sans aucun doute », salue Chams-Ddine Belkhayat. Ce commandant dans l'armée de terre, papa d'un enfant autiste, encourage « tous les Thomas à réaliser leur rêve, quel qu'il soit ». « Rompez les rangs ! », exhorte-t-il. « S'il ne se concrétise pas, je poursuivrai ma mission », certifie le jeune aide-soignant qui envisage de passer son diplôme d'infirmier « afin d'acquérir de nouvelles compétences pour pouvoir, toujours plus, aider les autres ». De là à s'imaginer médecin, comme Shaun Murphy, autiste Asperger, dans Good Doctor ? « Sans façon, les infirmiers sont plus proches des patients, argumente-t-il. Et puis je ne serai jamais assez patient pour faire neuf ans d'étude... » Morale de l'histoire ? « Avec un handicap ou pas, il n'est jamais trop tard pour se prendre en main et trouver sa voie. »