"Attestation de déplacement dérogatoire" ou "papier qui dit pourquoi on sort" ? Les associations de personnes avec un handicap intellectuel multiplient les documents en "facile à lire et à comprendre" en élaborant un algorithme de simplification.
Formulaires administratifs, modes d'emploi, livrets explicatifs dans les musées… Il n'est désormais pas rare de trouver ce type de documents simplifiés, rédigés à destination de tous ceux qui ont des difficultés de compréhension - du fait d'un handicap mental, mais aussi par exemple d'une connaissance parcellaire du français. Les personnes porteuses d'un handicap mental vivent dans une société "pas évidente pour elles", explique Bruno Le Maire, en charge de l'accessibilité au sein de l'association Unapei. Avec ses phrases courtes et ses mots simples, le facile à lire et à comprendre (Falc) les aide à "comprendre comment elle fonctionne" et donc à mieux s'y insérer. Ce "moyen de communication universel" peut être utilisé pour expliquer le déroulement d'un examen médical, les règles d'une activité sportive... ou, pendant la crise du covid-19, décrire les gestes barrière, ou les étapes du déconfinement.
Plus de doc en Falc
"Aujourd'hui la plupart des personnes handicapées demandent qu'il y ait plus de documents en Falc. Surtout les paperasses à remplir car c'est très compliqué", témoigne Lahcen Er Rajaoui, qui préside l'association de personnes handicapées intellectuelles "Nous aussi". En Falc, on préférera écrire "je me déplace pour sortir mon chien", plutôt que "mon déplacement est lié aux besoins des animaux de compagnie". Et, dans un formulaire, "je suis né(e) le..." plutôt que "date de naissance". Une quinzaine d'Esat (établissements et services d'aide par le travail) à travers la France ont mis en place des ateliers de transcription : encadrés par un animateur, des personnes handicapées s'y réunissent régulièrement pour rédiger ensemble les formulations qui rendront compréhensible tel ou tel formulaire.
Une demande exponentielle
"C'est une activité très valorisante pour eux ; ils fournissent une prestation intellectuelle, ce qui est paradoxal pour des personnes ayant une déficience", souligne Didier Vincent, un éducateur qui encadre de tels ateliers à l'Esat La Roseraie de Carrières-sur-Seine (Yvelines). "C'est un peu compliqué de rendre les choses facile à comprendre. Mais c'est intéressant, on apprend des choses, et on aide les autres", témoigne Pierre Barreau, lui-même atteint d'un handicap intellectuel et qui participe depuis plusieurs années à ces ateliers. Pour les transcripteurs, l'activité est enrichissante et donne lieu parfois à des rencontres ou excursions - par exemple dans une exposition dont les explications doivent être adaptées en Falc. Mais l'exercice reste très chronophage, d'autant que, souvent, les participants à l'atelier ne peuvent pas s'y consacrer plusieurs heures d'affilée. Or, "la demande de documents en Falc connaît une hausse exponentielle, il faut donc changer d'échelle et accélérer", explique Maxime Bonnemayre, en charge de ce dossier à l'Unapei.
Un algorithme en cours de développement
Pour ce faire, les promoteurs du Falc misent sur l'informatique ; un algorithme, en cours de développement, pourrait faciliter la tâche des transcripteurs en procédant à une première analyse du texte à simplifier (article en lien ci-dessous). "Il s'agit d'apprendre à la machine pourquoi un texte compliqué est compliqué, puis de l'amener à dire la même chose de manière plus simple", détaille Louis Martin, le doctorant qui travaille sur ce projet à l'Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) et au laboratoire d'intelligence artificielle de Facebook. L'idée n'est pas de "se passer totalement de l'humain" car les personnes handicapées devront toujours choisir la meilleure phrase parmi celles proposées par le logiciel. Mais plutôt de faciliter le travail et faire gagner du temps aux transcripteurs, explique le chercheur, qui espère aboutir en 2021 à un logiciel opérationnel, en "open source".
Informatique ou pas, "l'idéal serait que le Falc devienne naturel, qu'il entre dans les moeurs", souligne Luc Pallier, directeur de l'Esat de la Roseraie, dont l'établissement assure des prestations de transcription. "Il faudrait que les associations et entreprises 'pensent' Falc et écrivent directement en Falc. C'est ça l'avenir".