Le surcoût du transport bariatrique, c'est-à-dire nécessaire pour les personnes obèses, n'est pas pris en charge par la Sécurité sociale. Jusqu'à 627 euros de sa poche pour Hervé. Des parlementaires s'attaquent à ce problème de poids...
Le constat semble unanime à travers le monde : la majorité des personnes atteintes par le covid-19 et admises en réanimation sont des hommes obèses. Le chiffre de 70 % est régulièrement mentionné. L'occasion, lors de cette crise sanitaire sans précédent, d'évoquer la question du transport des personnes en obésité sévère en dehors des situations d'urgence ; un mot jusqu'alors inconnu pour la plupart se fait entendre, « bariatrique ». Il s'applique à un domaine de la médecine spécialisé dans le traitement des personnes obèses.
Un transport pas assez remboursé
Pour transporter un patient de plus de 130 kilos (parfois moins car tout dépend de son autonomie), il faut faire appel à des « ambulances bariatriques », qui nécessitent un équipement spécifique plus onéreux (rampe, treuil, brancard plus large, matériel de transfert…), et surtout la présence de quatre personnes, parfois davantage selon Normandy ambulances qui s'est spécialisée dans ce domaine depuis 2009 pour répondre à une demande sans cesse croissante. Le brancard, équipé d'un moteur électrique, peut porter jusqu'à 454 kg.
Si le recours à une ambulance classique est aujourd'hui remboursable par l'Assurance maladie, le surcoût en ambulance bariatrique ne bénéficie d'aucune extension, même lorsqu'il fait l'objet d'une prescription médicale. En d'autres termes, le patient obèse ne sera remboursé que sur la base d'un transport normal. Cette restriction ne concerne que les déplacements liés à une consultation ou une hospitalisation assurés par un transporteur privé ; les « urgences vitales », assurées par le Samu, le Smur et les pompiers restent sans surcoût pour le patient. « Mais le problème se pose au retour, déplore Hervé (le prénom a été changé), qui souffre d'obésité morbide et de différents handicaps qui l'ont privé de l'usage de ses jambes. Car, là, il faut payer ». Un autre cas sans dépassement concerne le transfert d'hôpital à hôpital décidé par le médecin hospitalier lorsque l'état de santé du patient le justifie.
Des centaines d'euros de leur poche
Hervé a fait ses comptes. Selon lui, « ce reste à charge peut être de plusieurs centaines d'euros », le tarif étant calculé selon le nombre de kilomètres. 627 euros exactement pour un aller-retour à l'hôpital, soit 20 km au total. Une facture de 490 euros pour Damien, un autre patient devenu grabataire suite à un accident cardio-vasculaire. « Les malades n'ont pas la possibilité d'assumer de telle sommes », poursuit Hervé. Il explique que cela concerne aussi les fauteuils roulants : « L'Assurance maladie prend en charge les manuels jusqu'à 60,5 cm de largeur mais, si la personne a besoin d'une taille supérieure, le reste à charge peut atteindre plusieurs milliers d'euros. »
Cette situation pose donc un problème d'égalité face aux soins et surtout de santé publique. Si 8 millions de Français (7% de la population) sont atteints d'obésité, 500 000 seraient en situation d'obésité dite « morbide » avec un IMC (indice de masse corporelle) supérieur à 40. Faute de prise en charge et face à des coûts prohibitifs, de nombreux patients seraient alors contraints de renoncer à certains soins. Or l'obésité est aujourd'hui un facteur de risque complémentaire à d'autres problèmes de santé (diabète, hypertension, cancers…).
Des parlementaires montent au créneau
En juillet 2019, ce sujet a fait l'objet d'une question écrite du sénateur René-Paul Savary (LR) à Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap. Quelques mois plus tard, c'est au tour de son homologue Philippe Mouiller (LR) d'interroger la ministre de la Santé sur une situation qu'il juge « discriminatoire ». Le 12 mai 2020, deux députés LR (messieurs Viry et Cherpion) passent à la vitesse supérieure et déposent une proposition de loi visant à prendre en charge ces surcoûts, co-signée par plus de 130 députés de tous bords. Selon leur rapport, si les 37 centres spécialisés ont été équipés d'ambulances bariatriques et disposent de budgets dédiés, cela ne suffit plus à répondre à la demande. « Il y a une carence réglementaire au niveau national. C'est l'Agence régionale de santé qui a la possibilité, dans le cadre du plan obésité, de définir et d'allouer une dotation pour ces transporteurs bariatriques », explique Joël Melzi, directeur de la Cpam (Caisse primaire d'assurance maladie) du Calvados, dans Ouest France. Cette question est à l'ordre du jour de la négociation entre les ambulanciers et la Cnam (Caisse nationale d'assurance maladie) « mais il y a peu de chance que cela porte ses fruits car il y a eu d'autres précédents par le passé qui n'ont jamais abouti », regrette Jules Serriere, attaché parlementaire des députés Cherpion et Viry.
Et maintenant ?
Un espoir, tout de même, de faire bouger les lignes ? « Oui, assure-t-il. Le sujet est dans les radars du ministère de la Santé depuis un bout de temps (ndlr : Agnès Buzyn a présenté sa feuille de route obésité 2019-2022 en octobre 2019, article en lien ci-dessous) mais, depuis le dépôt de la proposition de loi, les choses commencent vraiment à changer ». Elle devrait être présentée prochainement à l'Assemblée. « Les députés signataires nous ont assuré qu'ils la voteraient », se réjouit Jules Serriere, avec l'objectif de l'inscrire dans le Code de la Sécurité sociale. Le cas échéant, le sujet pourrait être remis à l'ordre du jour du prochain PLFSS (Projet de loi de finance de la Sécurité sociale). A suivre…