Les professionnels du médico-social auront-ils droit à une prime pour bons et loyaux services ? Le gouvernement assure plancher sur cette question. Pour autant, certains la méritent-ils autant que d'autres, s'interrogent des parents.
En cette période de crise sans précédent, les professionnels du médico-social accueillant des personnes handicapées auront-ils droit à une prime pour bons et loyaux services, comme c'est le cas pour les soignants mais aussi, selon la décision d'Edouard Philippe du 15 avril, les professionnels des EHPAD et des SAAD (services d'accompagnement à domicile) ? Le 3 mai, Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, s'est dite « extrêmement attachée » à ce principe et assure que le « gouvernement donnera des précisions très prochainement ».
Revendication commune
Le 22 avril, les fédérations et associations des secteurs personnes âgées et personnes handicapées membres du GR31 se fendaient d'un communiqué pour interroger sur le périmètre et les modalités de versement de cette prime, considérée comme un « premier pas vers la reconnaissance du travail des professionnels du champ de l'autonomie » qui, « pour garantir la continuité de service », se sont exposés « au risque de contamination ». Une « mobilisation exceptionnelle qui a permis et permet encore de sauver de nombreuses vies », selon ce collectif. Point de vue partagé par Jean-Louis Garcia, président de l'Apajh, qui souhaite que l'implication de ces professionnels soit valorisée ; ils ne sont pas considérés comme étant en « première ligne » mais, dans les MAS (maison d'accueil spécialisée) ou les foyers, ils ont pourtant travaillé durant des semaines sans masque et sans protection, sans faire valoir leur droit de retrait et se sont donnés sans compter avec un « tout petit salaire », selon lui.
Le soutien de la CNSA
Le secteur réclame donc l'extension de cette prime à l'ensemble des professionnels employés par les établissements et services médico-sociaux (établissements et services du secteur du handicap, EHPAD, résidences autonomie, services à domicile), avec un montant « au moins identique à la celle des agents hospitaliers » et versée avant l'été. Cette revendication est portée par le conseil de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) qui a récemment adopté à l'unanimité des parties prenantes (hors État), une motion pour la soutenir, ajoutant qu'elle ne devait pas, pour autant, « masquer les problèmes structurels du secteur et notamment la revalorisation des métiers et l'amélioration des conditions de travail des professionnels à long terme ». Selon la caisse, il doit s'agir d'un « prélude à une réforme de fond ».
Des investissements à divers degrés ?
Face à cette perspective, des voix se font néanmoins entendre, en off, sans que personne n'ose aborder la question publiquement. Elles sont surtout celles de parents exaspérés, laissés sans solution après le retour de leur enfant au domicile… Ils distinguent les professionnels sur le terrain, dans les internats restés ouverts H24, de ceux des externats et services qui ont parfois assuré un suivi minimum au téléphone ou en visio, réservant la présence auprès des familles pour des cas graves déjà cristallisés. « C'était parfois la décision de la direction qui a agi par prudence envers des salariés qui n'avaient aucune protection », tempère Marion Aubry, présidente de l'association TouPi. « Chacun a fait comme il a pu, souvent sans sécurité. On a même vu des familles coudre des masques pour les pro qui en étaient dépourvus », confirme Danièle Langloys, présidente d'Autisme France. Selon elle, si certains couacs ont surtout eu lieu au démarrage du confinement, ils tenaient avant tout à la situation d'urgence ». Elle ajoute, « globalement, tous ont essayé de faire leur travail », même si elle salue particulièrement les professionnels des FAM et MAS accueillant des personnes avec des troubles sévères qui ont été « exemplaires ».
Disparité des interventions
Face à la disparité des interventions, faut-il néanmoins faire le distinguo, récompenser l'un plus que l'autre, au mérite ? La grande distribution alimentaire a récemment fait ce choix puisque plusieurs enseignes ont fait savoir que son montant, au maximum de 1 000 euros, dépendrait du temps de présence, d'autres privilégiant les employés effectivement sur le terrain en excluant ceux restés en télétravail. « Impossible » dans le médico-social répondent en cœur les personnes interrogées, « ce serait indécent » ajoute Danièle Langloys. Cyrielle Claverie, cheffe de projet handicap au sein de la Croix-rouge française, abonde : « Oui, certains éducateurs de Sessad, par exemple, ne se sont pas déplacés au domicile, certaines personnes sont restées dans leur périmètre de sécurité mais qui peut savoir pour quelle raison : un proche vulnérable au covid, la peur de contaminer ? A contrario, partout, des choses merveilleuses se sont produites, par exemple des éducateurs d'Esat qui se sont déplacés au domicile pour rompre la solitude des travailleurs et les rassurer ou des directeurs d'établissements qui ont dormi sur place pour assurer la garde ».
Toute la chaîne de soin
Faudra-t-il, dans ce cas, redonner la main aux directeurs qui sont les plus à même d'évaluer l'investissement de chacun ? Option qui semble difficile à mettre en œuvre dans un contexte où le dialogue social peut être tendu. « Symboliquement, cette prime est importante, ajoute Cyrielle Claverie, car c'est « toute la chaîne de soin qui a œuvré pour maintenir l'état de santé de la personne qu'il faut valoriser ». Pour elle, cette prime enverrait un message très positif, qui confirmerait que « le soin n'est pas seulement à l'hôpital mais aux côtés de la personne ». Dans la définition de la santé de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) figure aussi la notion de bien-être, de bientraitance et d'auto-détermination. « C'est aussi important que la santé somatique, et reconnaître l'implication de ces professionnels médico-sociaux et sociaux est nécessaire », conclut-elle.
Prêter main forte
Nombre d'entre eux ont en effet été réquisitionnés pour prêter main forte dans les secteurs en tension. Le GRAAL 35 (Groupe de recherches et d'actions des associations locales) met en lumière le parcours de ceux qui se sont portés volontaires dans de nouveaux établissements et parfois sur de nouveaux postes. Voici comment Jean-Paul Morel, 57 ans, moniteur d'atelier menuiserie, est devenu agent d'entretien et de restauration dans un foyer d'hébergement. « Un principe d'éthique, selon lui, la base de notre engagement. Ma plus grande récompense, c'est de me sentir utile, de permettre aux personnes en situation de handicap de déjeuner, de se coucher dans une chambre propre. » La présidente d'Autisme France atteste, de son côté, que certains « professionnels ont découvert les familles sous un autre angle et dans un rapport différent à celui de l'institution ». « Quand on a affaire à l'humain, ça change les choses », se félicite-t-elle.
Travailleurs d'Esat et auxiliaires de vie ?
Le personnel d'encadrement du médico-social serait-il le seul à être « récompensé » pour son dévouement ? Des travailleurs d'Esat (établissements et services d'aide par le travail) revendiquent à leur tour : « Nous aussi, nous risquons nos vies, en livrant les repas des enfants dans les foyers, parce qu'il est hors de question pour nous de renoncer à notre devoir. Nous souhaitons une prime, pour notre engagement. » Une autre question est sur toutes les lèvres : qu'en sera-t-il des auxiliaires de vie qui interviennent à domicile via un particulier employeur ? Tout comme ceux qui sont embauchés via des mandataires et prestataires, entreront-ils dans le champ d'application de cette future prime ? Rien ne semble prévu pour le moment. « Elles, puisque ce métier est éminemment féminin, n'ont aucune reconnaissance sociale, elles sont payées au lance-pierre. Il faut reconnaître leur action, elles sont et seront un maillon essentiel de la mise en œuvre effective de la transition inclusive. », conclut Cyrielle Claverie. Dernière interrogation : quid des aidants familiaux rémunérés ? La réponse reste en suspens.