Télétravail: les addictions explosent durant le confinement (20/11/2020)

L'ennui et la solitude, terreau des conduites addictives? Alors que l'hyperconnexion et l'alcool crèvent le plafond, une étude sur l'impact du télétravail sur les addictions des Français exhorte les entreprises à prévenir ces comportements périlleux.

 

La crise sanitaire et économique impacte tous les volets de notre quotidien. Celui de l'emploi n'est pas épargné. A l'heure du reconfinement, le « travail à distance » redevient la règle. Une option facilitante pour les uns, troublante voire scabreuse pour d'autres, comme le révèle l'étude sur l'impact du télétravail sur les pratiques addictives des Français menée par GAE conseil, cabinet de conseil spécialisé en prévention des addictions en entreprise, et l'institut Odoxa, auprès de 3 002 d'entre eux, en octobre 2020. Résultat : trois-quarts des Français estiment que le télétravail accroît les pratiques addictives. En cause, notamment ? Le besoin de tromper l'ennui et de compenser (l'impression) de solitude. Enquête alarmante sur un enjeu de santé majeur.

Hyperconnexion, tabac, alcool en hausse

Une impression qui se confirme puisque 41 % des salariés font effectivement état de pratiques addictives plus fréquentes en télétravail, soit dix points de plus que sur le lieu de travail habituel. En tête de liste, les risques liés à l'hyperconnexion selon huit répondants sur dix, devant la consommation de tabac (75 %), d'alcool (66 %), de cannabis (55 %), de médicaments (52 %) et d'autres drogues (51 %). Fait nouveau, le « workaholisme » (addiction au travail) est aussi en hausse pour 61 % des télétravailleurs. Lors du premier confinement, toutes les formes de pratiques addictives ont augmenté ; 5,5 millions de Français ont notamment confié avoir eu la main plus lourde que d'ordinaire sur la bouteille. « Les anxiolitiques et somnifères ont également explosé, principalement en automédication », indique Alexis Peschard, président-fondateur de GAE conseil, en amont de la deuxième édition des « Rencontres de l'addictologie » qui se dérouleront en ligne le 19 novembre à 9 heures (inscription en lien ci-dessous). Principaux facteurs de risque ? L'éloignement physique avec les collègues et managers, le stress lié à la solitude ou à la crise ou encore les situations personnelles difficiles.

Plus de libertés = tentations exacerbées ?

« En présentiel, la crainte de la sanction et la honte poussent les salariés à trouver des stratagèmes pour cacher leur addiction », explique Alexis Peschard citant, par exemple, un commercial qui mettait de l'alcool dans son bidon de lave-glace via un tuyau relié directement à sa place, pour boire tout en conduisant et frauder lors des contrôles du véhicule par son entreprise ou la police. En télétravail, l'absence du regard de l'autre conduit les salariés à « s'octroyer beaucoup plus de libertés ». Un constat extrêmement « inquiétant », selon Alexis Peschard, car ils « n'en ont pas forcément conscience ». Or il rappelle que les règles qui valent en entreprise, comme l'impossibilité de boire sur son lieu de travail, s'appliquent aussi au domicile.

La prévention : un enjeu crucial pour les entreprises

« Les salariés sont démunis concernant la prévention des addictions à distance », déplore Alexis Peschard, évoquant un sujet « extrêmement tabou ». Or, « plus l'entreprise l'aborde tôt, plus elle peut favoriser la prise de conscience et l'accès aux soins et ainsi optimiser la prise en charge ». « L'obligation de résultat sur le plan de la santé et de la sécurité impose aux employeurs d'identifier ces risques et de mettre en œuvre une politique de prévention adaptée aux enjeux du distanciel », poursuit-il. En effet, si aucune action n'a été menée pour prévenir la pratique addictive d'un salarié en télétravail victime d'un accident, l'entreprise risque une peine « au civil et au pénal ».

Les managers en première ligne

Alors que 72 % des salariés et des managers estiment qu'il est plus difficile d'aborder le sujet dans le cadre d'un télétravail et que trois quarts des sondés attendent des managers qu'ils « redoublent de vigilance » pour identifier ces conduites, Alexis Peschard recommande de commencer par un entretien qui évoque les conséquences de l'addiction sur le travail du salarié (absentéisme, relationnel...) en évitant tout « jugement ou commentaire intrusif ». Le mot d'ordre ? Bienveillance ! Et de rappeler que la principale mission du manager est « d'accompagner et de trouver des solutions ». Il pourra ainsi orienter le salarié vers les services des ressources humaines, de l'action sociale ou encore de la médecine au travail. « Pour l'heure, les managers ne sont pas formés aux pratiques addictives, pas même pour le travail en présentiel, alors, pour le télétravail, nous en sommes à des années-lumière... », déplore l'expert qui suggère que cette question soit abordée lors de leur formation initiale.

Passé sous les radars

« Depuis le premier confinement, cette problématique est passée sous tous les radars des sujets de santé au travail », regrette Alexis Peschard qui en appelle à une plus grande mobilisation des entreprises et des pouvoirs publics. « Le déni collectif alimente le déni individuel des personnes souffrant d'addictions. Il y a urgence à en parler ! », exhorte-t-il, craignant sous peu des décompensations massives sur les plans psychologiques, psychiatriques et addictologiques semblables à celles d'avril. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a récemment rappelé que la santé mentale ne devait plus être mise de côté. Or, lors du premier confinement, les services d'addictologie étaient fermés, « et nos liens avec les patients rompus », déplore Alexis Peschard. Pour faire face aux conséquences éventuelles de ce nouveau confinement, il implore les salariés et managers à prévenir plutôt que guérir. « Les addictions ne doivent pas être un effet collatéral supplémentaire de la crise sanitaire », conclut-il.

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