Damien Seguin, le défi d'une vie: livre tout feu tout voile ! (24/09/2020)

Né sans main gauche, le skipper Damien Seguin a appris à vivre sans. Et à se battre pour obtenir le droit de concourir avec les valides. Eric Cintas retrace son parcours hors norme dans un livre stimulant à l'aube du Vendée Globe.

En 1979, l'échographie n'est pas encore très développée... Damien Seguin vient au monde le 3 septembre avec une « surprise» : une agénésie. Concrètement, il ne possède pas de main gauche. Lorsqu'il le découvre, son père met les voiles... Juste pour quelques heures. Le temps de rentrer chez lui pour s'entourer la main gauche de bande adhésive puis essayer de conduire, faire du vélo et de l'escalade. De retour à l'hôpital, il déclare : "Tout va bien, notre fils pourra tout faire comme les autres". Comme il avait raison… En témoigne les deux titres paralympiques de son skipper de fils et sa victoire sur le Tour de France à la voile en 2017. Pour se frayer une place dans "ce milieu de requins", Damien a dû se battre jusqu'à obtenir le droit de naviguer avec les marins "valides". Le 8 novembre 2020, il prendra le départ du Vendée Globe, "l'Everest de la voile", aux Sables-d'Olonne. "Faire le Vendée à une main, un défi fou ? Non, juste une course qui s'inscrit dans la logique du personnage, drôle et attachant, courageux et professionnel, méticuleux et ambitieux." Ce parcours hors normes, le journaliste sportif Eric Cintas a décidé de le raconter dans Damien Seguin, le défi d'une vie (éditions Glénat). Un livre tout feu tout voile en librairie à compter du 23 septembre 2020 !

Handicap.fr : Comment est né ce livre ?
Eric Cintas : Cela fait plus de 15 ans que je connais Damien. Le déclic est survenu lorsqu'il a annoncé sa participation au Vendée Globe. Après trois Routes du rhum, c'est tout ce qui lui restait à faire... Etre au départ de cette course, c'est déjà une victoire en soi. Je lui ai suggéré l'idée et il a dit "banco" !

H.fr : Pourquoi ne pas avoir attendu son résultat au Vendée Globe ?
EC : C'est une course très difficile dont seuls 60 % des marins viennent à bout. Je ne voulais pas prendre le risque que cette belle histoire finisse en eau de boudin à cause d'un abandon ou d'une hypothétique casse mécanique. On dit souvent que les sportifs font "la saison de trop", pour ma part, je ne voulais pas faire "le chapitre de trop". Mais j'espère, bien entendu, que tout ira pour le mieux...

H.fr : Qu'est-ce que ça fait de faire l'objet d'un livre ?
Damien Seguin : C'est plutôt cool ! C'était une idée que j'avais moi-même en tête depuis plusieurs années mais je ne me suis jamais senti prêt à me lancer dans l'écriture. Question de temps surtout... Eric nous a beaucoup consultés, mon entourage et moi, ça a été un travail collaboratif mais c'est lui qui tenait la plume et ça m'arrangeait bien !

H.fr : Eric, pourquoi lui ? Que vous inspire Damien ?
EC : C'est un mec absolument génial. Tu lui fous un micro devant le nez, tu peux aller boire un coup, quand tu reviens il est toujours en train de parler. Il a toujours des choses à dire. Et puis il a toujours ce sourire contagieux... C'est instinctif, quand on le voit, on a envie de gratter un peu plus. Le grand public va percevoir ce qui se cache derrière sa carapace. Le Seguin de la terre et le Seguin de la mer sont deux personnes différentes. Il est à la fois Tintin et Ulysse. Sur l'eau, c'est un winner (ndlr : gagnant) -et aussi un sacré emmerdeur, un mauvais joueur, perfectionniste avec une grande gueule- mais il n'a qu'une idée en tête : gagner. Et puis, dès qu'il met pied à terre, il a le "big smile" (ndlr : gros sourire).

H.fr : Damien, qu'avez-vous pensé du livre ?
DS : J'ai reçu les textes au fur et à mesure, notamment pour valider des dates, des anecdotes, des évènements importants mais je ne l'ai eu "entre les mains" qu'il y a quelques jours. Je l'ai lu d'une traite, en une nuit ! Ça m'a fait revivre des moments magiques, d'autres plus compliqués, et m'a permis de tirer un fil sur toutes mes expériences. J'ai demandé à Eric de ne pas évoquer seulement mes victoires mais aussi les difficultés et les obstacles. La vie ne se construit pas que sur des moments positifs.

H.fr : Quelle relation entretenez-vous ?
EC : Je le connais par cœur et le suis depuis ses débuts alors que j'étais journaliste pour RFO puis France O. La direction basée en Guadeloupe m'a systématiquement demandé de couvrir les aventures de M. Seguin, le considérant comme l'un des leurs. Il a vécu en Guadeloupe de 10 à 18 ans, c'est là qu'il a découvert la voile et a été formé, avant de recevoir ses premiers titres de champion de France. Et on est devenu amis.
 
H.fr : En quoi incarne-t-il, selon vous, un "meneur pour les sportifs handicapés" et un "exemple à suivre pour n'importe quel marin valide" ?
EC : D'un côté, il met le handicap en lumière et montre qu'on peut s'en sortir grâce au sport, que les enfants handicapés peuvent s'épanouir par ce biais. De l'autre, il a prouvé aux valides qu'il n'était pas « invalide » mais marin avant tout et qu'il pouvait les battre sans problème.

H.fr : Quelle est sa force, son atout majeur par rapport aux autres skippers ?
EC : C'est un fonceur. Pour le suivre, il faut se lever tôt ! Il ne s'arrête jamais et a une idée à la minute, un projet par semaine. Il croit en lui et se bat pour une cause, la voile et, plus largement, le sport pour tous, notamment à travers son association Des pieds et des mains. C'est pour cela que j'ai divisé le livre en trois parties, la première retrace ses victoires paralympiques, la troisième évoque ses participations à la Route du rhum et au Vendée Globe. Au milieu, son association fait le lien entre ces expériences.

H.fr : Quel est l'objectif Des pieds et des mains ?
DS : Elle est née en 2004, une période charnière dans ma carrière puisque c'est l'année où j'ai remporté ma première médaille d'or aux Jeux paralympiques. C'est aussi à cette période que j'ai pris ma première grosse claque lorsque les organisateurs de la Solitaire du Figaro ont refusé ma participation, estimant que "mon handicap ne me permettait pas de naviguer en bon marin". Difficile à avaler ! Cet évènement a montré qu'il y avait un véritable problème avec la vision du handicap. L'association est née de ce combat pour faire valoir mes droits. Elle a permis de fédérer et de faire évoluer un petit peu le débat sur la place des personnes handicapées dans le monde du nautisme. Je ne suis plus le président de cette asso mais porte toujours ses couleurs sur mes bateaux. Ce sera le cas lors du Vendée Globe.

H.fr : Eric, quel regard portez-vous sur le handicap de votre muse ?
EC : Quel handicap ? Il a obtenu son Capes du premier coup -qui lui permet d'être prof de sport-, mène sa vie de famille et de sportif de front, il conduit, cuisine... On n'a pas du tout l'impression qu'il est handicapé, c'est d'ailleurs ce que disent tous les marins que j'ai interviewés. Le regard des autres, Damien n'y a jamais vraiment prêté attention. A 15 ans, il a retiré sa prothèse qui ne lui servait à rien et a complétement assumé.
 
H.fr : Une course qui vous a particulièrement marqué ?
EC : Une seule ? Impossible de choisir. A chaque fois que je monte sur un bateau avec lui et que je le vois naviguer, il m'impressionne. Au-delà du sport, tout ce qu'il fait est bluffant, notamment le fait de rire de sa différence.

H.fr : Des anecdotes croustillantes ?
EC : Des tonnes ! Pendant le confinement, par exemple, il s'était enfilé un gant en plastique sur son moignon gauche pour applaudir le personnel soignant, comme tout le monde. A chacune de ses interventions dans des écoles ou des conférences, il fait "le défi des lacets" : il demande à deux personnes de délacer puis relacer leurs chaussures plus vite que lui. La légende dit que personne n'y est encore parvenu... C'est d'ailleurs grâce à ce "tour" que le groupe Apicil lui a proposé de devenir son partenaire. La directrice de la communication a eu un coup de cœur en le rencontrant au festival de courts métrages sur le handicap Regards Croisés. Quand je vous dis que Damien ne laisse personne indifférent...
 
H.fr : Serez-vous présent pour l'encourager au départ du Vendée Globe ?
EC : Je ne sais pas encore comment car les marins seront isolés durant six jours en raison de la crise sanitaire mais je serai là pour lui faire, je l'espère, au moins un check du coude ! Je l'ai mis au défi de finir le Vendée en moins de 96 jours, soit le temps qu'il m'a fallu pour écrire le livre. Challengeur, il s'est fixé un objectif de 90 jours, le record étant de 74. Le début d'une nouvelle histoire à raconter ?

H.fr : Damien, comment se passent les préparations ? Confiant, stressé ?
DS : Un peu des deux. Confiant car depuis que mon équipe et moi avons entamé ce projet il y a trois ans, nous avons vraiment fait du bon travail. Mon bateau est prêt, moi aussi. Du stress, il y en a toujours lorsqu'on part pour un tour du monde en solitaire pendant un peu plus de trois mois... Même si nos bateaux sont gros, ils restent petits au milieu des océans. Ce n'est pas anodin en termes de risque mais c'est une aventure fabuleuse. D'autre part, ma préparation a été assez bouleversée par le confinement et les problèmes sanitaires... Beaucoup de sentiments se mêlent aujourd'hui mais, à moins de 60 jours du départ, celui qui prédomine est l'excitation... Hâte d'y être !
 
H.fr : Le handisport est très peu médiatisé, pourquoi les médias sont-ils si réticents ? Que faire pour changer la donne ?
EC : En général, le sport est relégué à la fin du journal, alors le handisport... France Télévisions essaie de faire bouger les choses, en diffusant notamment les Jeux paralympiques. Pour les autres médias, on ne peut malheureusement pas empêcher le poids du regard de la société... Cela fait pratiquement 20 ans que je baigne dans ce milieu et les athlètes handicapés doivent toujours se battre pour prouver qu'ils sont des sportifs. De même, je n'ai jamais compris pourquoi les Paralympiques se déroulaient après les Jeux olympiques... Certaines épreuves pourraient être mutualisées et notamment la voile. L'objectif de mon livre est aussi de montrer que sport et handicap, ça matche !

H.fr : Damien, une idée de votre prochain défi ?
DS : Pas du tout. Tout au long de ma carrière, j'ai toujours essayé d'avoir un coup d'avance mais, là, j'ai vraiment envie de vivre cette aventure pleinement. Et pourquoi pas la renouveler en 2021 ? La voile étant un sport pour lequel l'expérience joue beaucoup, je vais essayer de tirer un maximum d'enseignements de ce premier round. Mais je ne m'interdis rien... J'ai toujours été un touche-à-tout, tout ce que je veux c'est me faire plaisir sur un bateau et relever des challenges.

En attendant, le prochain challenge qui attend les deux hommes est une séance de dédicaces au sein de la librairie de La-Trinité-sur-Mer (Bretagne), le 26 septembre 2020 entre 10h et 13h, organisée à l'occasion du Spi Ouest-France Destination Morbihan, une grande régate de voile, qui se tiendra du 24 au 27 septembre 2020.

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